Chères lectrices, chers lecteurs, voici une nouvelle série de textes originaux intitulée : « Le Nazaréen pourrait vous dire cela. »
Il s’agit d’une production littéraire dont le procédé est audacieux et original.
C’est en tentant de m’imprégner de l’enseignement de Jésus, sans considération pour les dogmes, que j’ai conçu cette série qui met en scène un Jésus sans concession qui produit un discours rude et parfois tranchant, dont il appartiendra au lecteur de décider s’il pourrait avoir pour émetteur, cet homme qui fréquentait les gens de mauvaise vie et qui un jour déclara :
« Laissez les morts ensevelir leurs morts »
Les sources utilisées par l’auteur pour tenter de cerner la personnalité et l’enseignement de Jésus se résument aux quatre évangiles et aux trois livres suivants :
Amazon.fr – Vie et destin de Jésus de Nazareth – Marguerat, Daniel – Livres
Amazon.fr – L’enseignement de Ieschoua de Nazareth – Claude Tresmontant – Livres
Vie de Jésus – Ernest Renan – Achat Livre | fnac
EPISODE 1 : SUR LA RAISON ET LA FOI
Que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent ! Ne vous obstinez pas à croire sans savoir ! Ne dites pas : « La raison est l’ennemi de la foi ». Mais dites : « La foi est l’assentiment libre et éclairé de l’intelligence suprême de l’homme à la croyance en Yahvé, l’unique, le Tout-Puissant, l’omniscient et le miséricordieux ».[1]
Comprenez ! En affirmant que les règles gouvernant la chute d’une pomme étaient les mêmes que celles gouvernant le mouvement des planètes, l’intelligence humaine signifia, haut et fort, qu’elle entendait exercer sa sagacité sur la réalité tout entière[2].
C’est pourquoi il est prescrit à l’homme, aidé par l’Esprit saint, d’incorporer l’examen de ses croyances dans le champ de son raisonnement. Il lui est commandé de considérer les textes sacralisés par ses ancêtres comme un témoignage de l’intervention de Yahvé dans l’histoire de l’humanité.
Que vos oreilles entendent ! La séparation de la foi et de la raison[3] ne repose que sur l’intérêt bien compris de certains hommes qui, pour conserver le pouvoir qu’ils ont accaparé, se sont arrogé le monopole de l’interprétation des textes[4].
Or, moi, je vous le dis ! Lorsque des hommes s’emploient à attribuer un caractère de vérité éternelle à des versets qui, en leur temps, furent dictés par les circonstances[5], ne vous laissez pas convaincre par leurs développements complexes et leurs interprétations peu claires, car ils ne visent qu’à sauver l’idée insensée que chaque fragment du texte sacré constituerait une vérité divine, éternelle et immuable.
Méfiez-vous des réponses des hommes de la tradition[6] ! Car l’abondance et la complexité de leurs explications sont le plus souvent un indice de faiblesse.
Au contraire, comme le physicien, préférez une explication ramassée dont le champ d’application sera le plus large possible. Et refusez les litanies verbales, longues et laborieuses, qui ne s’appliquent qu’à un fragment de texte[7].
Encore une fois, préférez la concision et rejetez l’hypothèse que la science ne permet pas de conforter. Car s’ils affirment que chaque nuage est mû par le souffle d’un ange invisible, c’est qu’ils ont compris que personne ne peut leur démontrer formellement qu’ils disent faux[8].
Que vos oreilles entendent ! Certains hommes non habilités par mon Père vous demandent de vous éloigner de ceux qui discutent vos versets[9]. N’obtempérez pas à cette injonction fallacieuse ! Car il ne vous est pas permis de renoncer à la recherche de la vérité.
Au contraire, écoutez avec attention[10] ceux qui ne pensent pas comme vous et tranquillisez-vous, car il n’y a rien qui soit en dehors de l’homme et qui, entrant en lui, puisse le rendre mauvais[11]. Comprenez donc ! Seules les mauvaises pensées qui sortent du cœur de l’homme souillent l’homme.
Dites-vous que celui qui vous interdit d’avoir affaire à ceux qui mettent en question vos croyances[12] et vous invite à fuir le débat démontre qu’il ne croit pas en la solidité de son enseignement.
Écoutez donc avec attention les arguments de vos contradicteurs. Laissez réagir votre intelligence associée à l’Esprit saint. Sachez que lorsqu’elle oblige l’individu à abandonner une croyance, la prise de conscience de la vérité suscite souvent le trouble. Car le plus souvent, la croyance partagée relie l’homme à ses proches, de même que la loyauté le relie à son clan et l’obéissance à ses maîtres[13].
Procédez comme je vous le demande ! Car ainsi, c’est la solidité de votre instruction et sa bonne compréhension que vous contrôlez. Et si un argument vous fait douter, soit votre instruction ne possède pas les fondements requis, soit l’instruction est bonne, mais votre compréhension incomplète.
Comprenez donc ! Dans les deux cas, la confrontation de votre vision du monde à celle de l’autre est un bien ! Car elle vous permet de remettre en cause une instruction erronée ou d’approfondir un enseignement que vous n’avez pas encore assimilé.
En vérité, Yahvé vous commande de dire votre opinion sur tous les textes sacrés et de confronter vos vues à celles de la tradition[14] ! Car je vous le dis, puisqu’une grande partie de la tradition s’est formée à partir de l’opinion personnelle des anciens[15], et non de la loi divine, la critique est permise.
À vous les croyants, il est commandé de ne pas vous raidir devant les caricatures et les paroles que vous prenez pour des insultes ! Au lieu de vous gonfler de haine et de vengeance, cherchez à comprendre l’opinion de l’auteur ! Saisissez donc ce qui le pousse à penser comme il pense ! Apprenez donc à le connaître, et vous apprendrez à l’aimer.
Interrogez-vous sur les raisons de votre indignation et laissez les autres se moquer de vos croyances ! Cherchez à comprendre les raisons de leurs moqueries ! Soyez disposés à admettre que certaines de vos croyances puissent être infondées, car cela pourrait rectifier votre foi et la réformer dans le sens de la vérité.
Et lorsqu’on vous oppose des arguments qui fragilisent vos croyances, servez-vous du miroir existentiel afin d’observer vos réactions et déterminer ce qui est en jeu[16] !
Si l’enjeu n’est autre que le maintien de règles archaïques qui permettent encore à certaines tribus d’asseoir leur misérable pouvoir et à l’homme de continuer à dominer la femme[17], ne vous cramponnez pas à vos croyances !
Si, malgré tout, vous persistez à vous soumettre à ces coutumes désuètes, examinez donc vos frustrations et considérez les névroses qui vous animent, avant que mon Père ne vous adresse sa colère !
En vérité, je vous le dis, il ne vous est pas permis d’extraire la foi du champ de la raison.
Et c’est à tort que les gardiens du dogme[18] ont instrumenté la créature de Dieu et se sont octroyé le monopole de l’interprétation des textes.
Malheur à ceux qui séparent l’intelligence et la foi, car ils commettent un crime contre l’Esprit saint.
[1]. Pour Saint Thomas d’Aquin, la raison n’est pas l’ennemie de la foi. Marie-Dominique Chenu expose la pensée du théologien en ces termes : « La cogitation, que ce soit par une fermentation fervente, que ce soit par un embrayage sur les ressorts multiples de mon intellect, ou mieux les deux à la fois, se développe donc à l’intérieur d’un assentiment donné à la Parole de Dieu, dans une affectueuse tension vers l’intelligence de ce que l’on croit. L’assentiment ne se ferme pas sur une obéissance “objective”, mais déclenche une curiosité où nature et grâce, nature et grâce de la foi, sont au travail. » (Marie-Dominique Chenu, « St Thomas d’Aquin et la théologie », p. 37).
[2]. La théorie de la gravitation de Newton mit fin à l’ancienne distinction aristotélicienne entre le royaume supralunaire et le royaume sublunaire. Avec la découverte de la gravitation, le céleste est désormais susceptible d’être soumis à l’examen par la raison.
[3]. L’orthodoxie sunnite se méfie de la raison, arguant que l’exercice de la raison en matière religieuse conduit à la fitna (discorde, guerre civile).
Averroès adopte une posture inverse notamment dans son « livre du discours décisif ». Il rappelle la méfiance des musulmans à l’égard des penseurs spéculatifs et parle de la distinction entre « ceux qui ont soutenu que c’est l’obligation de l’examen qui prime », et ceux « qui considèrent que c’est l’obligation de croire qui prime. ». A propos du Madhï Ibn Tumart (réformateur musulman berbère mort en 1130), il s’exprime en ces termes : « Il a ouvert la voie à de nombreux bienfaits, surtout pour une classe de personnes qui s’est engagée dans la voie de l’examen rationnel et aspire à connaître la vérité. Car il a appelé à la connaissance de Dieu par une voie moyenne, qui se situe au-delà du bas niveau de conformisme imitatif, mais au deçà de l’éristique des théologiens dialectiques, et il a signalé à l’élite la nécessité de s’engager radicalement dans l’examen rationnel de la Source de la Révélation. » (Averroès, L’Islam et la raison, Flammarion, Paris, 2000, P. 92 et P. 93)
[4]. Il s’agit notamment des « savants » religieux musulmans, des oulémas.
Les musulmans sont invités à ne pas s’aventurer à tenter l’interprétation directe du Coran sans passer par le double filtre dogmatique de la tradition. Le consensus (ijmâ) contrôle l’interprétation de la sunna (l’ensemble des traditions constituées par les actes et les paroles de Mohammed), et la sunna contrôle l’interprétation du Coran.
Ainsi, l’interprétation du Coran ne peut se faire sans passer par le recours aux spécialistes de la sunna. Selon l’imam Ayyûb al-Sakhtiyâni (748), « le Coran a davantage besoin de la sunna que la sunna n’a besoin du Coran ».
[5]. Selon Mahmoud Mohamed Taha, malgré certains enchevêtrements, deux corpus coraniques se distinguent nettement, avec d’un côté un message de la période mecquoise (début de la prédication) se voulant universaliste, ontologique, spirituel, doux et miséricordieux, axé sur le perfectionnement de l’individu, et de l’autre, un message médinois (délivré après l’expulsion de Mohammed de la Mecque) politique, parfois légiférant, allant vers plus de sévérité et moins de liberté, ayant pour vocation à régir la communauté médinoise et à répondre aux polémiques du moment.
La partie du Coran d’origine médinoise semble très souvent dictée par les circonstances et apparaît comme ajustée aux capacités psychologiques du peuple auquel elle est délivrée.
[6]. La plupart du temps, les hommes de la tradition se réfugient dans l’érudition ou ont recours à l’usage de la preuve autoréférentielle que Yadh Ben Achour définit en ces termes : « J’entends par preuve autoréférentielle ce simplisme qui consiste à répondre à des arguments simples, sains et forts, articulés contre les excès de la pensée religieuse, de son culte ou de sa théologie, en agitant les diktats et les prescriptions du texte religieux lui-même » (« La deuxième Fatiha », p. 51).
[7]. Il s’agit ici d’une allusion au rasoir d’Ockham, également dénommé « principe de simplicité » ou « principe de parcimonie », que l’on peut traduire en termes modernes : l’hypothèse suffisante la plus simple doit être préférée à une théorie complexe dont le pouvoir explicatif n’est pas supérieur.
[8]. Il s’agit d’une hypothèse ad hoc qui, par définition, n’est pas réfutable au sens où Karl Popper l’entendait.
[9]. Référence au Coran 6v68 : « Quand tu vois ceux qui pataugent dans les discussions à propos de Nos versets, éloigne-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils entament une autre discussion. »
[10]. Référence au « connected Knower » : personne disposée à tenter de suspendre ses propres croyances et d’adopter la perspective de son interlocuteur pendant le temps de l’écoute (« Personal Epistemology – The Psychology of Beliefs About Knowledge and Knowing », ouvrage collectif édité par Barbara K. Hofer et Paul R. Pintrich).
Amadou Hampaté Ba décrit la posture inverse en ces termes : « Un homme tout rempli de lui-même, pressé d’établir son savoir, ramenant tout à lui, ne saurait être à l’écoute de personne… Même lorsqu’il se tait, il rumine déjà sa réponse et, finalement, se prive du bénéfice de l’échange et de toute chance d’apprendre davantage » (A. Hampaté Bâ, « Aspects de la civilisation africaine », éditions Présence Africaine).
[11]. Selon l’Évangile, ce qui souille l’Homme, ce sont ses propres « pensées mauvaises » (Matthieu 10,18-19).
[12]. Le verset 68 de la sourate 6 précité l’illustre bien.
[13]. Cela résulte notamment du biais de conformité sociale qui incite à filtrer sévèrement les arguments dont l’admission pourrait induire l’adhésion à un système de croyances qui diverge de celui de la communauté à laquelle on considère appartenir.
[14]. Les gardiens de la tradition entendent contrôler strictement l’interprétation du Coran et imposer son interprétation. Le filtre dogmatique est double. La sunna, dont les spécialistes sont les oulémas, sert de grille d’interprétation de la sunna, laquelle est contrôlée par le filtre du consensus (ijmâ). Les passages opposés du Coran ne seraient que des apparences puisque le Coran est la parole de Dieu éternellement vraie et immuable, le recours aux oulémas s’imposerait donc pour dénouer ces contradictions.
[15]. Exemple : Ibn al-Jawzi, Kitab al-mawduat, vol. 1, p. 266 : « Quand nous aboutissons à une opinion à travers notre raisonnement, nous le transformons en hadith. » Ici, le raisonnement est téléologique. L’interprétation est subordonnée au but à atteindre.
[16]. En réalité, ce qui est en jeu est l’intégrité de la charia, laquelle est fondée sur la sunna (actes et paroles attribués par la tradition à Mohammed). La perfection des actes et des paroles de Mohammed (Mahomet) repose sur la dogmatisation de sa figure de prophète dont la tradition a fait un modèle de perfection. Les musulmans français sont pour la plupart peu attachés à la charia collective (versets légiférant destinés à régir la société, le crime et la famille). En revanche, la charia individuelle, les règles rituelles qui relient le croyant à Dieu, est importante à leurs yeux. L’immense majorité des musulmans est attachée à la sunna (traditions prophétiques) simplement parce que la sunna les renseigne sur la manière de prier et de se comporter afin d’être un bon musulman et de multiplier ses chances d’accéder au Paradis.
[17] Cette autorité et la faculté de punir les femmes résultent notamment du verset 34 de la sourate 4 qui dispose ainsi : « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection de Dieu. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Dieu est certes, Haut et Grand ! »
[18]. Les gardiens du dogme ou les savants religieux doivent, selon la tradition islamique, faire l’objet d’une stricte déférence. « Faire silence en présence des savants religieux, les respecter est obligatoire de la part de ceux qui apprennent, car les savants sont les héritiers du Prophète » (Al-Shâfi’î, al-Umm P.7:256).