Depuis que les partisans du Hadith, c’est-à-dire de la tradition, l’emportèrent sur les mutazilites, partisans de l’usage du raisonnement humain, l’orthodoxie sunnite a produit beaucoup de dogmes dont l’association génère parfois des incohérences logiques.
Dans cet article nous montrerons que l’association de deux dogmes peut être critiquée, voire invalidée en utilisant un dérivé simplifié de la logique formelle.
Nous expliquerons également pourquoi, justement malgré les difficultés logiques qui résultent de l’attachement à certains dogmes « problématiques », le consensus persiste à les maintenir.
Nous appliquerons donc notre méthode en posant comme axiomes les deux dogmes suivants :
- Le dogme du caractère incréé du Coran, lequel signifie que le Coran existerait de toute éternité
- Un monothéisme absolu confinant à un déterminisme absolu.
Notre mini système axiomatique étant posé, nous nous efforcerons d’en dégager les conséquences logiques en utilisant la logique formelle et l’analyse sémantique.
Pour les musulmans, le monothéisme stricte est la pierre angulaire de leur religion.
Ce type de monothéisme est tellement exagéré que l’idée qu’un être humain puisse être le producteur de ses propres actes et de ses propres paroles est inconcevable.
La difficulté, c’est qu’un tel mode de pensée est difficilement tenable lorsqu’il est confronté aux sourates suivantes :
Sourate 14 verset 4 : « Et Nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer. Allah égare qui Il veut et guide qui il veut. Et, c’est Lui le Tout Puissant, le Sage.«
Sourate 13 verset 27 : » Ceux qui ont mécru disent: « Pourquoi n’a-t-on pas descendu sur lui un miracle venant de son Seigneur? » Dis: « En vérité, Dieu égare qui Il veut et Il guide vers Lui celui qui se repent »
Selon l’un des plus grands savants musulmans, Al-Hassan al-Basri, « croire que Dieu serait la cause de l’insubordination des hommes ne faisait guère de sens, puisque cela revenait à ce qu’il se comporte à l’égard de ses sujets comme un tyran malicieux ».
Le problème, c’est que si l’on considère, que Dieu est le créateur de tous les actes et de toutes les paroles des êtres humains, il doit nécessairement endosser la responsabilité qui s’y attache.
L’être humain, dans cette hypothèse serait donc un être foncièrement irresponsable, puisque non créateur de ses propres actes.
Evidemment, l’auteur de cet article n’est pas le premier à avoir mis en évidence ce nœud dogmatique.
Avant lui, un multitude de théologiens musulmans se sont cassés la tête sur ce problème apparemment insoluble.
Aussi, afin de concilier le principe d’omnipotence divine et la nécessité de ne pas départir la créature de Dieu de la responsabilité de ses actes, Ash Shâfi’î accommoda l’idée d’une stricte prédestination, synonyme d’absence de libre arbitre, de sorte que l’homme puisse conserver une once d’autonomie, et au moins partiellement, la responsabilité de ses actes.
Il inventa la théorie dite de « l’acquisition », selon laquelle Dieu demeure le producteur exclusif de tous les actes et de toutes les paroles des êtres humains, générant ainsi un stock d’actes et de paroles destiné à l’approvisionnement de l’être humain, ce dernier étant « libre » d’acquérir tel ou tel acte, telle ou telle parole dans un stock préexistant.
La création de ses actes et de ses paroles par l’être humain peut ainsi continuer à lui être dénié.
Evidemment le recours à une théorie auxiliaire de la sorte n’est pas très satisfaisant. Mais le monde musulman s’en accommode depuis des siècles.
Mais revenons au dogme du Coran incréé, c’est-à-dire l’idée que le Coran existerait de toute éternité.
Si l’on admet ce dogme, on peut alors considérer qu’il y existe deux entités incréés, Dieu ou Allah ou Yahvé d’une part, et le Coran d’autre part.
Il existerait donc deux entités divines, ce qui contreviendrait au monothéisme stricte professé par l’orthodoxie sunnite.
Dans ces conditions, si le Coran représente la traduction en langage humain de la pensée de Dieu et que cette traduction existe de toute éternité, on peut également considérer que cette pensée n’est jamais née dans l’esprit de Dieu, puisqu’elle est existerait de toute éternité.
Dieu et sa pensée seraient donc en quelque sorte consubstantielles, de la même façon que pour les chrétiens, Dieu, le Saint-Esprit et Jésus sont trois hypostases consubstantiels.
Par ailleurs, si le Coran n’est pas la création de Dieu, cela veut dire que le Coran était dans Dieu de toute éternité. On pourrait ainsi considérer qu’une telle vision se rapproche d’une forme de panthéisme.
De même selon le consensus, Dieu a créé les événements de l’univers de toute éternité, de même que les actes et la paroles de ses créatures de toute éternité.
Or si Dieu à créé l’histoire universelle de toute éternité, l’histoire universelle fut dans son esprit de toute éternité.
Ainsi l’histoire universelle de l’univers et l’esprit de Dieu semble consubstantiels.
Evidemment, là encore les théologiens ont perçu ces incohérences logiques ainsi que le risque de tomber dans une forme de panthéisme.
Et comme pour la théorie très artificielle de l’acquisition décrite ci-avant, ils ont trouvé une parade.
Le Coran n’est pas consubstantiel à Dieu, il est simplement un attribut de Dieu.
Ainsi, la dénotation et la connotation du terme « attribut » permettent à la doctrine de ne pas mettre sur le même plan Dieu et le Coran tout en maintenant le dogme du caractère incréé du Coran et de Dieu.
Évidemment, toutes les circonvolutions autour de la notion d’attribut n’ont pas de sens lorsque l’attribut est le Coran. Et pour maintenir le flou, il ne restait plus à la tradition qu’à noyer l’argumentation ci-dessus sous une tonne d’érudition, de phrases alambiquées, l’érudition ayant souvent pour fonction d’ensevelir la pensée.
Arrivé à ce point de l’exposé, le lecteur se posera certainement la question du « Pourquoi ».
Pourquoi les penseurs musulmans ont-ils déployé tant d’efforts et d’inventivité pour préserver un dogme dont on n’a du mal à comprendre l’intérêt ?
Selon moi, il y a au moins deux raisons.
Tout d’abord, l’affirmation du caractère incréé du Coran fait artificiellement de ce texte un texte antérieur à la Bible hébraïque et au nouveau testament.
Ainsi, même si le Coran a été révélé après les révélations juives puis chrétiennes, il demeure premier.
En conséquence, si le Coran est premier, il prévaut nécessairement sur les autres écrits, notamment en cas de contradiction.
D’ailleurs, aujourd’hui encore, la thèse de la falsification de leurs écritures par les juifs et les chrétiens est enseignée par les imams aux musulmans mais aussi aux enfants musulmans notamment à travers la littérature enfantine musulmane [1] comme l’atteste ce passage du « Coran expliqué aux enfants » (CEE) :

« D’autres (les juifs et les chrétiens) avaient reçu la révélation mais ils l’avaient transformée pour avoir des privilèges. » (CEE Page 63) – « Il changèrent les paroles d’Allah » (CEE Page 64)
Cette narration vise à accréditer l’idée que les juifs et les chrétiens auraient falsifié leurs écritures et que l’Islam viendrait corriger les Canons juif et chrétien pour constituer la « vraie religion » (CEE 64)
En conclusion, nous espérons avoir démontré que le dogme du Coran incréé est une invention de la tradition difficilement défendable du point de vue de la logique propre au système dogmatique sunnite, et que ce dogme perdure simplement afin de pouvoir maintenir de manière artificielle l’idée que le Coran est premier et que toute contradiction avec la bible hébraïque ou le nouveau testament, n’est que le résultat d’une falsification de leurs écritures par les juifs et/ou les chrétiens.
[1] « Le Coran expliqué aux enfants » (Editions Tawhid, 6 impasse Victor Hugo 69003 Lyon)