La persistance des prescriptions religieuses et des dogmes à travers le temps est un phénomène intéressant. Souvent, une tradition ou une prescription persiste grâce à l’oubli.
« Persister grâce à l’oubli ». Cette proposition ne se contredit-elle pas dans ses propres termes ? En réalité, une tradition se maintiendra souvent, justement parce que sa raison d’être sera tombée dans l’oubli.
Afin de clarifier notre propos quelque peu énigmatique, plongeons nous dans la bible pour y percevoir par exemple la trace d’une pensée magique, primitive, selon laquelle un attribut pourrait se transmettre par le contact.
« Quiconque en touchera la chair sera sanctifié. S’il en rejaillit du sang sur un vêtement, la place sur laquelle il aura rejailli sera lavée dans un lieu saint. Le vase de terre dans lequel elle aura cuit sera brisé ; si c’est dans un vase d’airain qu’elle a cuit, il sera nettoyé et lavé dans l’eau. Tout homme parmi les sacrificateurs en mangera : c’est une chose très sainte » (Lévitique 6,20-22).
De même, « vous ne mangerez pas de leur viande, vous ne toucherez pas leur cadavre » (Lévitique 11,8).
Ces versets bibliques inspirèrent certainement à Adolphe Lods (1867-1948), orientaliste et professeur de langue et de littérature hébraïque, le concept de « contagion alimentaire ». L’homme deviendrait ou plutôt incorporerait les attributs de ce qu’il mange. Ainsi, un homme qui mangerait un tigre deviendrait dangereux comme un tigre.
De la même façon, l’esprit primitif dont la trace subsiste dans l’esprit de l’homme du 21e siècle considère que le contact avec une chose à laquelle un attribut particulier sera associé, est susceptible de permettre au sujet d’aspirer en quelque sorte cet attribut.
Selon Adolphe Lods, ces interdictions bibliques reposeraient sur une ancienne croyance selon laquelle le sang serait le « siège de l’âme » et sur l’interdiction « d’introduire en soi une âme étrangère »[1]. Évidemment, aujourd’hui cette croyance a disparu. Pour autant, l’interdit alimentaire subsiste.
Cet exemple nous a permis de montrer qu’une tradition est parfois à l’image de la fusée, qui lorsqu’elle a atteint une certaine hauteur, se détache de son lanceur.
Prenons maintenant le cas de deux dogmes dont l’inconsistance semble sauter aux yeux. Parmi ces dogmes, nous étudierons à titre d’amuse-gueule, le dogme du caractère incréé du Coran puis à titre de plat de résistance celui de la trinité.
LE DOGME DU CORAN INCRÉÉ : RÉSULTAT D’UN RAISONNEMENT TELEOLOGIQUE (ET NON THEOLOGIQUE)
La question que chacun devrait se poser est la suivante : Pourquoi a-t-il été jugé bon de représenter le Coran comme un objet incréé, c’est-à-dire un objet qui existerait de toute éternité, alors qu’une telle proposition est logiquement intenable et ne pouvait donner lieu qu’à des discussions sans fin.
Si l’on admet ce dogme, on doit considérer qu’il y existe deux entités incréés, Dieu ou Allah ou Yahvé d’une part, et le Coran d’autre part. Il existerait donc deux entités divines, ce qui contreviendrait au monothéisme stricte professé par l’orthodoxie sunnite.
Dans ces conditions, si le Coran représente la traduction en langage humain de la pensée de Dieu et que cette traduction existe de toute éternité, on peut également considérer que cette pensée n’est jamais née dans l’esprit de Dieu, puisqu’elle existerait de toute éternité.
Il existerait ainsi deux entités inengendrées figées.
Dieu et le Coran seraient donc en quelque sorte consubstantielles, de la même façon que pour les chrétiens, Dieu, le Saint-Esprit et Jésus sont trois hypostases consubstantiels.
Par ailleurs, si le Coran n’est pas la création de Dieu, cela veut dire que le Coran était dans Dieu de toute éternité. On pourrait ainsi considérer qu’une telle vision se rapproche d’une forme de panthéisme. Dieu aurait créé tous les événements (« accidens » au sens aristolélicien) de l’univers de toute éternité, ainsi que les actes et la paroles de ses créatures.
Or si Dieu a créé l’histoire universelle de toute éternité, l’histoire universelle fut dans son esprit de toute éternité. Ainsi l’histoire universelle de l’univers et l’esprit de Dieu semble consubstantiels. Évidemment, là encore les théologiens ont perçu ces incohérences logiques ainsi que le risque de tomber dans une forme de panthéisme.
Bref, notre but n’est pas de disserter sur cette question mais de se poser la question du pourquoi de l’édification d’un dogme aussi problématique. Selon nous, la clé pour comprendre la persistance d’un tel dogme, est la prise en compte de sa téléologie, c’est-à-dire du but de ses inventeurs.
L’élaboration de ce dogme fut dès l’origine contrainte par un but. Il s’agissait de bâtir une conception permettant de soutenir de manière artificielle que le Coran était chronologiquement premier et que par conséquent toute contradiction avec la bible hébraïque ou le nouveau testament, ne pouvait être que le résultat d’une falsification de leurs propres écritures par les juifs et/ou les chrétiens.
La question qui se posait donc au théologien musulman était donc la suivante :
Quel dogme dois-je mettre en place pour assurer la primauté du Coran, donner foi à la falsification des écritures par les juifs et les chrétiens, et ne pas laisser penser que les scripts bibliques façon judéo-chrétienne contenus dans le Coran, étaient simplement le résultat de l’exposition de Mahomet aux traditions qui circulaient oralement dans la péninsule arabique.
Les théologiens choisirent de répondre à cette problématique en instituant un dogme répondant à l’ensemble de ces objectifs, à savoir la proposition du caractère incréé du Coran.
Le lecteur l’aura compris. Ce qui détermine un dogme est le plus souvent le but à atteindre. Un dogme est rarement le résultat d’un raisonnement analytique. Il en est exactement de même pour le dogme de la trinité.
LE DOGME DE LA TRINITÉ ET SA RAISON D’ÊTRE
Une seule substance et trois hypostases, telle est la formule simpliste du dogme de la trinité. Justement, ce qui empêche parfois certains musulmans de basculer dans le christianisme, réside justement dans leur incompréhension de ce dogme qu’ils considèrent pas forcément à tort comme l’expression d’une forme de polythéisme.
Ainsi, les chrétiens vénéreraient trois dieux : le père, le fils et l’esprit saint. Un chrétien pourrait leur répondre que dans la mesure où ils considèrent le Coran comme un objet existant de toute éternité, c’est-à-dire inengendré, qu’il existe dans la religion musulmane, deux dieux.
Mais revenons à notre dogme chrétiens. Dans les premiers temps de l’Église, la nature de Jésus, fit l’objet de débats d’une extrême violence.
Pour certains, les monophysiques, Jésus ne pouvaient avoir qu’une nature divine. Par Arius, le fils ne pouvait qu’être subordonné au père qui seul pouvait être inengendré. Il ne pouvait exister deux êtres sans commencement[2].
Dans sa lettre au papas d’Alexandrie, Arius, professait la transcendance absolue de Dieu, » un seul Dieu, un seul inengendré, un seul principe, principe de toute chose » . Jésus quant à lui était nécessairement engendré par la volonté de Dieu.
Des positions intermédiaires existaient. Alexandre, Évêque d’Alexandrie, défendait la coéternité du fils en refusant toutefois sa génération à partir du non-être et tout en se défendant d’affirmer qu’il existerait deux inengendrés.
Évidemment du point de vue du logicien, la position d’Alexandre est intenable. La bataille théologique faisait alors rage et menaçait de diviser l’empire. Alors que l’empereur Constantin était sur le point de faire l’unité de l’Empire, une simple controverse religieuse menaçait de la compromettre.
C’est donc dans ce contexte que l’Empereur enverra un émissaire qui sera pressé de régler ce conflit. Ossius de Cordoue sera en charge de trouver un compromis.
La formulation du concile de Nicée qui se tint du 25 mai au 25 juillet 325 ne sera finalement que le résultat d’un compromis visant à maintenir l’unité de la chrétienté coûte que coûte.
Dans ces conditions, le fameux crédo de Nicée, selon lequel le fils et le père étaient déclarés constitués de la même substance, produisit les germes d’une insatisfaction qui ne cessa pendant un demi-siècle d’agiter les théologiens.
Précisément, l’usage d’un terme non scripturaire, c’est-à-dire non présent dans les écritures chrétiennes, à savoir le terme grec « homoousios », traduit en français par le terme consubstantiel, eu pour effet de maintenir les divergences de vues sur la nature de Jésus.
Comme pour le cas du dogme du caractère incréé du Coran, la recherche de la formulation du credo n’était pas désintéressée en ce sens qu’elle ne résultait pas d’une volonté de coller au phénomène de la révélation mais de » concilier l’unité de la divinité avec la Trinité au nom de laquelle le baptême considéré comme garantissant seul la rédemption, était célébré « .
Ainsi, alors que les premiers pères de l’Église ne se posaient pas ces questions et se contentaient de voir en Jésus le premier être humain achevé, la notion de partage d’une même substance divine entre le Père et le Fils, ne visait qu’à sauver la raison d’être du baptême.
Dans la même veine, le maintien dogme du péché originel que je critique dans un autre article, a pour seul intérêt de justifier le baptême.
Même si nous avons abordé certains points théologiques, notre but n’était pas de faire de la théologie mais de démontrer que la formulation du concile de Constantinople qui se tint en 381, selon laquelle il n’existerait qu’une seule substance et trois hypostases, le père, le fils et le Saint Esprit, n’est pas intelligible, la formule d’Arius s’accordant beaucoup mieux avec la raison.
L’Église répondra qu’il s’agit d’un mystère. Nous lui répondrons qu’il ne s’agit aucunement d’un mystère mais d’une formule bancale comme le sont bon nombre de compromis, qui, comme le dogme du caractère incréé du Coran ne s’accorde pas avec la raison.
Il ne s’agit donc en aucune manière d’une vérité impénétrable mais d’une simple création humaine imparfaite. Selon nous, le jour où l’Église catholique sera capable de produire une définition correcte de la nature du Christ et de se débarrasser du dogme du péché originel pour se concentrer sur l’enseignement du Jésus, tel qu’il résulte des évangiles, elle pourra de nouveau conquérir les âmes.
[1] Extrait de la thèse de Laure, Anne, Lise Gracia sur l’« Histoire des lois alimentaires édictées par les trois grandes religions monothéistes de notre société
[2] Source, Ouvrage collectif, Les premiers temps de l’Église, Folio histoire
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