Le dogme du Coran incréé et la question de la caducité de l’interprétation littérale de certains versets coraniques.

« Si Dieu crée un monde dans lequel certaines propositions sont vraies, il crée du coup un monde dans lequel sont valables toutes leurs conséquences. » nous dit Ludwig Wittgenstein.

Pour le chrétien révolutionnaire dans l’âme, antithèse du béni oui-oui bien-pensant, peu sensible à ces créations humaines que sont les dogmes, il existe une parole de Jésus qui résonne particulièrement :

« C’est pourquoi je vous dis : Tout péché, tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne leur sera pas pardonné. Celui qui parlera contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais celui qui parlera contre le Saint-Esprit, le pardon ne lui sera accordé ni dans le monde présent ni dans le monde à venir. » (Matthieu 12.31-32).

Le blasphème contre l’esprit, c’est justement le refus d’accepter les règles naturelles de fonctionnement de l’esprit, cette logique qui semble dériver du mode de fonctionnement du cerveau humain qui soutient les règles universelles de la logique.

Plus précisément, refuser la véracité de la proposition de Ludwig Wittgenstein, caractérise le blasphème contre l’esprit sur lequel Jésus pose un jugement d’une extrême sévérité.

L’esprit et sa logique ont vocation à s’étendre à tous les domaines, y compris les dogmes. Et un dogme qui porte en lui la trace du crime contre l’esprit doit être purement et simplement abandonné.

Le dogme du caractère incréé du Coran que les théologiens musulmans ont édicté est un parfait candidat pour la confrontation avec les règles de l’esprit. Ainsi le Coran existerait de toute éternité et n’aurait donc jamais été créé.

Dans le paysage cognitif de l’orthodoxie sunnite, il existerait deux entités n’ayant jamais été engendrées, Dieu et le Coran, Dieu n’étant pas le créateur du Coran, ce dernier lui étant en quelque sorte consubstantiel puisque le Coran est censé être la parole littérale de Dieu.

Raisonnons donc par l’absurde en acceptant pour la forme ce postulat.

Face à cette affirmation, notons que très tôt les « savants » religieux relevèrent des versets coraniques qui se contredisaient.

Le mécanisme de défense habituel qui consiste à voir de la polysémie partout pour tordre le coup et échapper à l’interprétation naturelle d’un texte pour tenter de réfuter toute contradiction ne fut pas réquisitionné par ces savants religieux, qui ne contestèrent pas l’existence de versets contradictoires dans le Coran.

Au contraire pour tenter de résoudre cette difficulté substantielle, ils élaborèrent la théorie de l’Abrogeant/l’Abrogé selon laquelle, le verset le plus récent abrogerait le plus ancien, et ce, en se référant à certains versets du Coran comme celui-ci :

« Si Nous abrogeons un verset quelconque ou que Nous le fassions oublier, Nous en apportons un meilleur, ou un semblable. Ne sais-tu pas que Dieu est Omnipotent ? » — Le Coran, « La Vache », II 106 »

Ajoutons donc à notre système de postulats ce verset et examinons si la règle de l’esprit, celle de Ludwig Wittgenstein est respectée.

Ainsi de ces deux axiomes, on peut déduire que de toute éternité, le Coran intégrait des contradictions ou tout du moins, de très bons versets, d’autres un peu moins bons, d’autres méritant d’être abrogés ou « suspendus« .

Question : Comment un texte qui prétend être la parole littérale de Dieu pourrait-il contenir de toute éternité des contradictions, des versets destinés de toute éternité à être remplacés par de meilleurs versets ?

A cette question, on pourrait répondre qu’en réalité le Coran ne fut pas incréé mais fut simplement un production humaine inspiré par Dieu.

On se rapprocherait ainsi du statut que le dogme catholique accorde à la bible :

« La bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’esprit Saint » (Exhortation apostolique post-synodale « VERBUM DOMINI« )

Mais si l’on veut maintenir le dogme d’un Coran qui serait incréé, abstractions faites des difficultés résultant des mêmes critiques que les musulmans formulent à l’égard du dogme de la Trinité, il n’existe qu’un seul chemin possible, celui-ci consistant à considérer que Dieu adapta son message aux circonstances et aux capacités de réception des groupes humains auxquels il s’adressait.

La difficulté, c’est que le message mecquois est empreint de tolérance, de paix et de miséricorde, d’admiration à l’égard des juifs, des chrétiens et le message de Médine est foncièrement agressif, anti-juif, anti-chrétien, sévère.

Pour Jacqueline Chabbi  « la phase médinoise de Mohammed témoigne au contraire – le Coran en porte constamment la trace, fût au travers de ses propres dénégations – d’un accommodement et d’une adaptation à un milieu de vie réel.« 

Doit-on alors considérer que ce message médinois et ses versets légiférants étaient simplement adaptés au contexte de l’époque ?

Rachid Benzine dans « le Coran expliqué aux jeunes » nous dit « Si un djihadiste cherche un passage violent (dans le Coran), il le trouvera et se dira conforté dans ce qui est en fait sa propre idée préconçue du Coran. »

Ainsi, le Coran pourrait être utilisé comme un répertoire de scripts rationalisant la violence.

Sur ce sujet, interrogez un musulman modéré, paisible, ce voisin sympathique suffisamment connaisseur des versets coraniques et pointez-lui avec le doigt les versets violents, anti-juif, les hudûd, ces peines cruelles que l’on trouve dans le Coran, et il vous répondra certainement façon Rachid Benzine (RB) qui pose lui-même dans son livre la question de la violence à l’égard des juifs et y répond :

Question posée par RB : « Cette violence à l’égard des juifs choque beaucoup nos contemporains. Quelles explications lui donner ? »

Réponse de RB : « Il ne faut jamais séparer le Coran de son contexte. »

Avec cette réponse, il est difficile de ne pas être d’accord.

Cependant, le musulman modéré rechignera à en tirer la conclusion logique, à savoir que certains versets contenus dans le Coran étaient simplement adaptés aux capacités de réceptions des Arabes qui vivaient dans la péninsule arabique et aux circonstances, et ne constituent en aucun cas une vérité éternelle et immuable.

Dire que tel ou tel verset est simplement le témoignage d’un passé révolu et n’a pas vocation à s’appliquer éternellement est juste psychologiquement inconcevable pour une majorité de musulmans.

Entendrons-nous un jour en France un imam déclarer que l’interprétation littérale des versets portant les Hudud, ces peines pénales cruelles comme la flagellation ou l’amputation d’une main est purement et simplement caduque ?

Aujourd’hui, j’aimerais que mes contradicteurs musulmans affirment ceci :

« La signification littérale des versets qui portent ces hudud est caduque. »

Mais à ce jour je ne l’ai jamais entendu.

Pourquoi les musulmans rechignent-ils à déclarer la caducité de l’interprétation littérale des versets cruels ?

Les musulmans dès leur plus jeune âge apprennent à révérer le Coran.

Comme le dit Maxime Robinson dans son magistral « Mahomet »[9] : « Quant à la perfection du style coranique, c’est devenu un dogme pour l’Islam ».

Il poursuit, « Un texte dont on a été bercé depuis l’enfance, que l’on a entendu réciter avec ferveur dans les circonstances les plus solennelles et les plus émouvantes, qu’on a soi-même épelé, étudié, dont on s’est peu à peu imprégné, acquiert au bout d’un certain temps une résonnance incomparable. »

Pour Yadh Ben Achour, « son statut dépasse le simple caractère sacré qui peut être donné dans toutes les religions, à un lieu, une parole, une relique, un saint. Le texte coranique a reçu un statut théologique transcendantale qui l’identifie quasiment à Dieu. ».

Lorsque l’on pose la question à Rachid Benzine la question suivante :

« Peut-on faire comme si les règles coraniques étaient dépassées et dire qu’elles ne sont plus valables aujourd’hui ? »

Il répond : « Non. Si l’on dit cela, on laisse croire que le Coran est défaillant ou dépassé. Il faut revenir à l’essentiel, au centre du message : L’affirmation de l’unicité de Dieu souverain. »

Cette réponse démontre que Rachid Benzine cesse ici d’être un universitaire musulman pour devenir un musulman universitaire.

Il panique au point d’en être réduit à devoir fonder sa réponse sur une simple pétition de principe, un raisonnement circulaire, puisqu’en réponse à la question « Peut-on faire comme si les règles coraniques étaient dépassées », il répond : « Non. Si l’on dit cela, on laisse croire que le Coran est défaillant ou dépassé ».

On comprend ici le blocage affectif qui empêche les imams de franchir le pas en affirmant la caducité de l’interprétation littérale de certains versets.

Mais il y a autre chose.

Il y a la pression de l’étranger, de ces pays musulmans dont les oulémas tiennent à la charia, qui demeure leur gagne-pain et leur fourni un statut social qu’il n’est pas question pour eux d’abandonner.

Imaginer que les imams de France puissent prendre en leur âme et conscience de telles positions, leur est insupportable, pour la simple raison que les idées sont contagieuses et que la diffusion d’une déclaration aussi simple et en apparence inoffensive que la caducité de l’interprétation littérale de certains versets, pourrait saper les fondements de la charia dont certaines parties sont incorporées dans les lois étatiques.

Dans quel but le dogme du Coran incréé a-t-il été créé ?

L’élaboration de ce dogme fut dès l’origine contrainte par un but. Il s’agissait de bâtir une conception permettant de soutenir de manière artificielle que le Coran était chronologiquement premier et que par conséquent toute contradiction avec la bible hébraïque ou le nouveau testament, ne pouvait être que le résultat d’une falsification de leurs propres écritures par les juifs et/ou les chrétiens.

La question qui se posait donc au théologien musulman était donc la suivante :

Quel dogme dois-je mettre en place pour assurer la primauté du Coran, donner foi à la thèse coranique de la falsification des écritures par les juifs et les chrétiens, et ne pas laisser penser que la présence de scripts bibliques façon judéo-chrétienne contenus dans le Coran, était simplement le résultat de l’exposition de Mahomet aux traditions qui circulaient oralement dans la péninsule arabique.

Les théologiens choisirent de répondre à cette problématique en instituant un dogme répondant à l’ensemble de ces objectifs, à savoir la proposition du caractère incréé du Coran.

Quels statuts pour le Coran et ses versets ?

Sur le problème de la caducité, nous renvoyons le lecteur à notre article sur la pensée d’un grand penseur soudanais, Mahmoud Mohammed Taha.

Conséquences dogmatiques de la déclaration de caducité de certains versets médinois et de la remise en vigueur des versets « suspendus » du Coran – Journal d’idées (epoch-e.fr)

Pour ce qui est du statut du texte Coranique, le lecteur pourra se référer à notre article sur le théologien chiite, Mojtahed Shabestari.

L’évolution du statut de la révélation en islam : La posture herméneutique de Mojtahed Shabestarî – Journal d’idées (epoch-e.fr)

En conclusion, il faut rappeler que par fierté la plupart des musulmans n’accepte pas que des non musulmans viennent mettre leur nez dans « leur » islam. Et pourtant, l’humanité n’avance que lorsqu’elle est confrontée à un regard extérieur.

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