Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Amérique n’a cessé de viser l’accroissement de sa puissance, d’imposer sa vision du monde et d’affaiblir les systèmes politiques et sociétaux susceptibles de gêner ses ambitions. Tout en prônant le multiculturalisme, elle assimile à tout va.
Nous pourrions nous interroger sur l’origine de cet impérialisme systémique et nous attarder sur la notion de «destinée manifeste » ou sur la littérature coloniale américaine qui voyait dans l’Amérique un nouvel Israël appelé à servir de guide pour l’humanité. Cependant, cela ne sera pas notre propos.
Nous nous intéresserons à un cas particulier d’opération d’influence, de soft power et à la manière dont les Etats Unis s’efforce de projeter sur les sociétés humaines du vieux continent des modes de pensées, des théories, dont l’effet est d’affaiblir et de diviser les sociétés visées de sorte de les rendre plus perméable et plus dociles à la vision du monde américaine.
Ainsi à travers la production de connaissances, de théories ou de pseudos-théories, les US exercent un soft power dont l’efficacité est redoutable puisque l’objectif à atteindre est l’encerclement cognitive de l’adversaire et donc une forme de soumission idéologique.
En réalité une stratégie d’influence sera d’autant plus efficace si aucun acte pris isolement ne peut être en soi qualifié d’opération d’influence.
Seule une distribution bien agencée de micro-agissements, de micro-activismes, apparemment sans lien les uns avec les autres, pourra générer le résultat escompté. Le but étant que l’analyse des parties ne laisse entrevoir aucune intention mais que dans le même temps des effets au niveau systémique assimilables à des propriétés émergentes (cf. Théorie des systèmes) puissent être produits.
Afin que chacun puisse entrevoir concrètement certaines modalités d’exercice du soft power américain, nous avons choisi d’étudier le cas particulier de guerre d’influence idéologique par la production de formations.
Afin d’illustrer notre propos nous nous intéresserons à une formation dispensée par LinkedIn intitulée « Faire face aux micro-agressions au travail ».

A travers l’analyse du contenu de ce type de formation, nous repérerons les postulats sous-jacents, à savoir l’existence d’un racisme systémique, d’innombrables micro-agressions au travail qui affecteraient encore plus durement les groupes dits «marginalisés », lesquelles seraient des cibles perpétuelles de micro-agressions fondées sur des préjugés par nature inconscients partagés par tous les membres des groupes non marginalisés.
L’intérêt d’étudier ce type d’idéologie, c’est qu’elle est relayée de manière intentionnelle ou non par les départements RH en charge de l’inclusivité, de la diversité, de la responsabilité sociétale de l’entreprise.
Ces thèmes étant porteurs de chiffre d’affaires pour de nombreux consultants avides d’identifier de nouveaux débouchés et de concevoir des formations dans l’air du temps, ce secteur d’activité a tendance à se développer et ses acteurs sont les idiots utiles du soft power en contribuant à la diffusion de ces idées. Ainsi, sans avoir besoin de percer des lignes ennemies avec des tanks, la vision du monde américaine utilisent très simplement ces points d’entrée.
Pour faire comprendre l’impact de ces formations et de démontrer en quoi elles contribuent à diffuser les briques de l’idéologie des départements de sciences sociales américaines, nous introduirons à titre préliminaire certains éléments théoriques qui permettrons au lecteur de comprendre le lien entre les théories, les langages d’observations qui leur sont attachés et la manière dont les énoncés d’observations dépendent ontologiquement des deux premiers éléments de ce triptyque.
Afin d’armer l’esprit critique de nos lecteurs, nous nous intéresserons à un type particulier de théories, qui par nature et en raison de l’ingéniosité de leur conception ne sont pas susceptibles d’être contredites par les faits.
Nous entrerons ensuite dans le cœur de l’idéologie sous-tendant cette formation sur les micro-agressions.
En conclusion, nous dirons quelques mots sur la création artificielle d’une l’hypersensibilité woke et son impact au travail, dans nos sociétés ainsi que le risque qu’elle fait courir à l’espèce humaine.
THEORIE / LANGAGE D’OBSERVATION / ENONCE D’OBSERVATION
Ce que le lecteur doit savoir, c’est qu’un énoncé d’observation, comme la constatation d’une micro-agression réelle ou supposée, ne peut exister sans l’existence préalable d’une théorie à même de produire un langage d’observation apte à générer un fait observable.
Comme l’explique parfaitement Paul Feyerabend, la description des faits est dépendante de la manière dont ils sont théorisés. Ainsi, les faits ne sont disponibles qu’en raison de la théorie qui permet de les relever.
En d’autres termes sans théorie, pas de langage d’observation, et sans langage d’observation certains fait ne peuvent être observés.
Ainsi l’existence de certains faits est conditionnée par l’existence d’une théorie.
Sur le sujet de la physique quantique, le mathématicien et philosophe, Ronald Cicurel, s’exprime en ces termes, « les physiciens ont convenu que quelque chose existe si l’hypothèse de son existence est utile à exposer un fait qui lui, est observable. »
Encore une fois, faits et théories sont intimement liés, et souvent un fait existera uniquement parce qu’une théorie sous-entend ou postule son existence.
D’une manière générale, nous avons tendance à interpréter les faits de sorte qu’ils s’ajustent à nos idées.
Par ailleurs, ce n’est que lorsque l’on s’attend à quelque chose, que cette chose devient l’objet de notre attention. En créant une attente, on crée donc une attention, une acuité, un fait observable.
Dans l’exemple qui nous intéresse, la théorie n’est pas le résultat d’un raisonnement par induction issue de l’extérieur de soi, mais d’un agencement de postulats dont certains ne sont pas prouvables.
La théorie ainsi fabriquée générera un langage d’observation ayant pour fonction d’agréger des faits appartenant à la classe des faits susceptibles de conforter ladite théorie.
Afin de rendre cet aspect plus clair, nous allons montrer comment une théorie peut être conçue de telle manière que les faits qui seraient plutôt censés la réfuter seront interprétés comme des éléments venant la conforter.
COMMENT CONCEVOIR UNE THEORIE QUI DEMEURE INTACTE QUELS QUE SOIENT LES FAITS A LAQUELLE ELLE EST CONFRONTEE ?
Afin de répondre à cette question, nous ne conterons de reproduire en substance, la thèse de Paul Feyerabend qu’il exposa à l’occasion d’une conférence intitulée « Une connaissance sans fondements. »[1]
Supposons l’hypothèse A, selon laquelle Narcisse déteste son père. Imaginons que Narcisse ne soit pas dans une relation ouvertement amicale avec son père, alors l’affirmation A semble vérifiée.
Imaginons un fait, appelé F, lequel est le suivant : Narcisse est très gentil avec son père et lui offre régulièrement des cadeaux. Ce nouveau fait F, cette fois-ci vient affaiblir voire réfuter, du moins en apparence, l’affirmation A.
Introduisons alors l’hypothèse supplémentaire B suivante :
« Les gens qui haïssent alors que l’on attend d’eux qu’ils aiment, tentent d’atténuer leurs sentiments de culpabilité par une compensation excessive, comme la distribution de cadeaux. »
Ici l’hypothèse B, vient sauver l’affirmation A, même en face de faits qui devraient en apparence contredire l’affirmation A.
La structure de cet argument est la suivante :
1°) Le fait F menace de réfuter A
2°) L’hypothèse B est proposée
3°) L’Hypothèse B permet de réinterpréter F
4°) L’interprétation de F par B permet de conforter A.
Le lecteur aura ainsi compris l’ingéniosité d’une telle théorie, mais également son caractère non scientifique, le recours à une hypothèse ad hoc, à l’adhocité, aura permis de faire rentrer un fait dérangeant dans une théorie.
Selon nous la théorie des micro-agressions est justement conçue de telle sorte que tous les faits qui devraient être interprété comme la réfutant, viendront mécaniquement la conforter.
Pour Paul Feyerabend, ce type de théorie est proche du mythe dont il définit les éléments comme « reliés les uns aux autres de telle manière que la conséquence est la préservation, et même la confirmation, du mythe sous toutes les circonstances possibles. »
Après cette digression théorique, intéressons-nous à l’impact de la théorie dite des « micro-agressions » et notamment à l’hypersensibilité qu’elle est susceptible d’induire.
FAIRE FACE AUX MICRO-AGRESSIONS AU TRAVAIL (Toni Howard Lowe)
Ce cours proposé en ligne sur LinkedIn est l’illustration d’une forme d’ethnocentrisme américain.
A travers cette formation sur les «microagressions» conçue pour les US et par les tenants de la pensée progressive Woke, l’Amérique projette une idéologie qu’elle considère comme transposable en France.
Ce type de formation incite à penser que le racisme qui serait systémique aux US le serait aussi en France. Ainsi la spécificité historique américaine est oubliée, et en particulier le fait que l’Amérique s’est construite sur l’esclavagisme et le génocide des tribus amérindiennes, contrairement à l’Europe.
Mais que nous raconte cette formation ?
Tout d’abord que nous avons tous des préjugés et que même les « personnes bien intentionnées n’ont souvent pas conscience de leurs préjugés, croyances, attitudes ou actions, ce qui cause des inégalités dans nos relations et a un impact très négatif en diminuant la valeur de l’humanité des individus et des groupes marginalisées. »
Selon Toni , l’objectif ultime dans nos interactions quotidiennes, serait « l’humilité culturelle et le désapprentissage des préjugés. ».
Il conviendrait de distinguer entre deux types d’agressions, les « Macro-agressions » et les « Micro-agressions ».
Selon Toni Howard Lowe, le fait pour un « employeur de recruter dans des grandes écoles, qui comptent très peu de personnes noires » serait une macro-agression. Ainsi, recruter au sein d’une école comme polytechnique est juste un acte de racisme, et ce, parce que cette école compterait moins d’étudiants français noirs que d’étudiants français blanc.
Mais le vrai sujet est celui des micro-agressions, lesquelles sont définies comme des « offenses discrètes », « invisibles », « non-intentionnelles », « Subtiles », «insidieuses », « L’invisibilité des micro-agressions faisant plus de mal que des actes manifestes et délibérés. »
Afin de ne pas se retrouver dans une impasse méthodologique, l’auteur prend soin de préciser que le critère permettant d’établir la micro-agression n’est pas l’ « offense subtile » per se qui n’est parfois pas détectable, mais l’effet, « l’impact » ressenti par la victime.
On rappellera cette citation de Ronald Cicurel « les physiciens ont convenu que quelque chose existe si l’hypothèse de son existence est utile à exposer un fait qui lui, est observable. »
Ainsi la micro-agression existerait puisque l’émotion désagréable est elle, observable, et que la théorie des micro-agressions génère une présomption quasiment irréfragable d’association entre « émotion désagréable » et « micro-agression. »
En d’autres termes, il suffira que suite à une attitude ou une parole d’un collègue, un salarié ait ressenti une émotion désagréable pour que la micro-agression soit considérée comme caractérisée.
Les micro-agressions les plus néfastes sont définis comme le fait de personnes bien intentionnées « qui n’ont pas conscience d’avoir une conduite préjudiciable envers un groupe socialement dévalué ». Ces micro-agressions, ces « actes invisibles » portent un sens caché, mais leurs auteurs ne s’en rendent pas compte.
La dénégation de l’auteur présumé de ces micro-agressions est donc de fait disqualifiée par cette théorie.
Ainsi, seul l’impact des mots et non l’intention du locuteur compterait. Selon la formatrice, la micro-agression ne peut être validée que par celui ou celle qui ressent soudainement une émotion, cette formatrice militante ou militante formatrice s’exprimant en ces termes « toutes vos expériences sont valides ». Ainsi, la parole du présumé auteur de la micro-agression n’a pas de valeur et ne devrait pas être prise en considération.
A ce stade le lecteur aura compris, les notions d’épistémologie exposées en introduction.
Ce type de théorie est effectivement conçu pour faire rentrer un maximum de faits y compris ceux qui tendraient à la réfuter. Ainsi même, une remarque justifiée d’un manager sur la qualité du travail d’un salarié, pourra être considérée comme une micro-agression sur la simple parole du salarié qui n’aura qu’à expliquer qu’il aura ressenti une émotion désagréable à la suite de la remarque de son manager.
La formatrice va encore plus loin en considérant que le bureau doit demeurer un « safe space », un endroit sécurisé qui ne devraient pas produire des émotions négatives chez les salariés.
Afin d’attacher une rationalisation au fait que l’auteur de la micro-agression ne réalise pas la portée de son acte, la formatrice explique que le micro-agresseur n’est pas conscient de sa micro-attaque du fait de « l’instauration ( dans son esprit ) d’une dissonance cognitive » , et ce, comme s’il était possible de générer sciemment un phénomène de dissonance cognitive.
Cet exemple de mobilisation d’un mot « savant », dont l’inventeur Leon Festinger, ne pourrait que condamner le mauvaise usage fait par Toni Howard Lowe démontre que les théories du type « micro-agressions » produites par les départements de sciences sociales américaines, ne sont pas le résultat d’une démarche scientifique.
La technique utilisée est la suivante. Le but politique à atteindre étant fixé, il s’agira de produire une théorie intrinsèquement infalsifiable, c’est-à-dire non scientifique. L’utilisation d’un jargon universitaire aura pour seule fonction de conférer à ladite théorie une apparence de scientificité.
La théorie ainsi crée produira ensuite un langage d’observation propre à qualifier pratiquement tous les actes ayant provoqué une émotion pour les qualifier de micro-agressions. Les mailles du filet seront resserrés à travers l’invention des micro-attaques, des micro-insultes et des micro-invalidations.
Ainsi demander à une personne appartenant à un « groupe marginalisé » comment elle a obtenu sa promotion « sous-entendra qu’elle y serait arrivée grâce à un système de quota ou par une discrimination positive plutôt que grâce à ses aptitudes ».
Selon Paul Feyerabend, « une idéologie est victorieuse non parce qu’elle s’accorde bien avec les faits, mais parce qu’aucun des faits qui auraient pu constituer un test fondamental n’a été spécifié et parce que de tels faits ont été éliminés ».
Finalement ce type de théorie inverse la charge de la preuve.
Le contradicteur, la personne désignée comme « micro-agresseur » devra apporter la preuve d’un fait négatif, le fait qu’il n’ait pas commis de micro-agressions. Or ce type de preuve était bien connu en droit romain, on l’appelait la « preuve diabolique » pour la simple raison qu’elle est formellement impossible à rapporter. Que le lecteur marié fournisse donc la preuve qu’il n’a jamais trompé son conjoint.
LA CREATION DE L’HYPERSENSIBILITE WOKE ET SON IMPACT
La théorie des micro-agressions fait partie, des théories « progressistes » dites « woke » susceptibles de produire ce que l’on appelle l’hypersensibilité WOKE ainsi que la revendication d’une protection particulière des salariés érigés comme hypersensibles.
Ainsi des droits et des condamnations résultent de cette nouvelle vision, la formatrice affirmant le droit d’un salarié à ne pas s’adapter à la culture d’entreprise et stigmatisant le terme « méritocratie », lequel est considéré comme un gros mot.
Chacun peut imaginer les conséquences de la transmission d’une telle idéologie au sein de l’entreprise, et en particulier le conflit, la division, la discorde et la censure auxquels elle pourrait donner lieu.
A titre d’exemple, l’échange d’opinions divergentes pourrait être perçu comme des micro-agressions du point de vue de la partie appartenant à un groupe marginalisé, et le débat d’idées comme générateur d’émotions néfastes… Ainsi l’autocensure qui nuit à la créativité ne serait que l’étape suivante.
Un salarié appartenant à une « minorité marginalisée », qui n’aurait pas détecté jusqu’à présent les micro-agressions dont il n’aurait cessé d’être la victime sans s’en rendre compte et qui « auprès de son arbre, vivait (jusqu’à présent) heureux », pourrait soudainement devenir malheureux au travail car soudainement, « grâce » à cette formation linkedIn, conscient de ces micro-agressions « invisibles » et « non-intentionnelles ».
Selon des études très sérieuses, l’humour au travail augmenterait la productivité des collaborateurs de l’ordre de 30 %.
Malheureusement, une personne qui aurait suivi ce cours et qui serait convaincu de la nécessité de protéger les hypersensibles appartenant à des groupes marginalisés, n’osera plus faire de l’humour au risque d’être mal compris et pris pour un raciste qui s’ignore.
Chacun l’aura compris, ces théories «woke» sont contre-productives, car elles divisent, opposent et racialisent et abaissent l’humanité.
Finalement, la revendication woke la plus dangereuse pour la conservation de notre espèce est la suivante :
Le droit de ne pas s’adapter à l’extérieur de soi
Une telle revendication est évidemment contraire aux exigences du développement individuel puisque selon Piaget il ne peut y avoir de développement sans accommodation aux objets extérieurs.
Par ailleurs, du point de vue de l’évolution et de la biologie toute espèce qui ne peut ou ne veut plus s’adapter est condamnée à s’éteindre.
Enfin l’actualité et en particulier la guerre en Ukraine, démontre que seul l’esprit commando est apte à générer une capacité de résistance, contrairement à l’hypersensibilité woke qui affaiblit la pâte humaine et produit artificiellement des victimes.
[1] Paul K. Feyerabend : « Knowledge Without Fondations”, Edition originale : Oberlin College, Oberlin 1960, Editions Dianoïa pour la traduction française.
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